Dernière modification: 10/07/2023
Depuis leur incorporation, les normes harmonisées sont des directives techniques d’application facultative, qui peuvent être utilisées par les fabricants pour certifier leurs produits. Toutefois, de récents développements judiciaires pourraient modifier la valeur juridique des normes et l’ensemble du processus européen de création de normes.
LA VALEUR JURIDIQUE DES NORMES HARMONISÉES, LES AFFAIRES ELLIOTT ET GLOBAL GARDEN
La solidité juridique des normes harmonisées a été remise en question ces dernières années par différentes affaires judiciaires. James Elliott Construction Limited contre Irish Asphalt Limited (C613/14) : Elliot Construction accuse un fournisseur qui aurait livré du béton non conforme à la norme harmonisée relative ; l’accusé répond en affirmant que le respect de la norme n’est pas obligatoire. L’affaire, portée devant la juridiction d’Irlande du Nord, est confiée à la Cour européenne de justice, qui se trouve dès lors confrontée à la question suivante : « La Cour de justice publique peut-elle fonder ses jugements sur l’interprétation de normes volontaires élaborées par des organismes privés ? La réponse est oui.
[40] »[…]Il résulte de ce qui précède qu’une norme harmonisée telle que celle en cause au principal, adoptée sur la base de la directive 89/106 et dont les références ont été publiées au Journal officiel de l’Union européenne, fait partie du droit de l’Union, puisque c’est par référence aux dispositions d’une telle norme qu’il est établi si la présomption prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/106 s’applique ou non à un produit déterminé »
[43] « Il y a lieu, en outre, de constater que si l’élaboration d’une telle norme harmonisée est certes confiée à un organisme de droit privé, il s’agit néanmoins d’une mesure d’exécution nécessaire, strictement encadrée par les exigences essentielles définies par cette directive, initiée, gérée et contrôlée par la Commission, et dont les effets juridiques sont subordonnés à la publication préalable par la Commission de ses références au Journal officiel de l’Union européenne, série « C ».
Tout en reconnaissant l’origine privée de la norme, la Cour de justice reconnaît sa validité législative, puisqu’elle est directement ratifiée par la Commission européenne et publiée au Journal européen au même titre que le reste de l’organe législatif. Les normes sont également reconnues comme étant NÉCESSAIRES pour satisfaire aux exigences de sécurité.
Global garden product c/ Commission européenne (ECLI:EU:T:2017:36) : Global Garden, fabricant de matériel de jardinage, conteste la décision de la Commission européenne de retirer du marché européen l’un de ses modèles de tondeuse à gazon. Le choix de la Commission est la conséquence du rapport d’un État membre (la Lettonie), qui a détecté une non-conformité à la norme EN 60335-2-77:2010 (notamment, la distance entre les lames et le capot arrière n’était pas adéquate). Global Garden conteste la position de la Commission, affirmant que les tondeuses à gazon ont été produites et mises sur le marché alors que la norme de référence était la norme EN 60335-2-77:2006, à laquelle le produit est conforme. Dans ce cas, la valeur juridique des normes harmonisées ne fait donc pas l’objet du litige. Néanmoins, dans son arrêt, la Cour européenne indique que les normes harmonisées, même si elles ne sont pas obligatoires, constituent le moyen le plus simple d’obtenir une déclaration de conformité et que la publication au Journal européen leur confère une valeur juridique.
[60] »[…] la publication par la Commission de la référence d’une norme harmonisée au Journal officiel qui lui confère une valeur juridique […] »
CONSÉQUENCES POSSIBLES
Les questions critiques soulevées par ces arrêts peuvent être résumées en deux points :
1. Les normes harmonisées, si elles ne sont pas encore obligatoires, sont toujours reconnues comme le moyen nécessaire et le plus facile d’obtenir la déclaration de conformité.
2. Le contrôle de la Commission sur leur rédaction et leur publication au Journal européen leur confère une réelle valeur juridique.
La valeur juridique certifiée des normes aurait une première conséquence fondamentale : elles devraient être mises gratuitement à la disposition des fabricants et des organismes de contrôle, tels que le reste de l’organisme juridique européen.
La fusion des normes harmonisées avec la législation européenne pourrait conduire à des développements importants pour tous les opérateurs en matière de sécurité des machines, développements qui, dans certains cas, sont déjà en cours.
– Commission européenne : en conférant aux normes harmonisées le statut de loi, la Communauté européenne accroît ses responsabilités quant à leur contenu et, pour se protéger au niveau juridique, elle a déjà pris des mesures en engageant un certain nombre de consultants de la HAS, qui contrôlent depuis plusieurs années le contenu de la norme en cours d’approbation, afin d’exclure la possibilité d’éventuelles lacunes. Cela entraîne un ralentissement de l’approbation de la nouvelle norme (l’impact est particulièrement visible dans les normes de type C), un ralentissement déjà en cours dans plusieurs secteurs tels que celui des matériaux de construction, où le règlement sur les produits de construction (CPR) impose l’utilisation de normes harmonisées depuis des années.
– Organismes de réglementation : pour les raisons que je viens d’évoquer, les organismes de réglementation verraient augmenter le temps nécessaire à l’approbation des normes qu’ils produisent ; les OEN modifient donc déjà leur stratégie, visant à retirer leurs normes EN ISO (il s’agit de normes de type C, chacune concernant un seul type de machine) des normes harmonisées. Les organismes de réglementation rédigeront et publieront leurs normes de type C sans les soumettre à la Commission pour les inclure dans les normes harmonisées.
– Fabricants de machines : dans le scénario actuel, les fabricants ne disposent pas d’une norme harmonisée pour la production de leurs produits. Ils seront donc responsables de la sécurité de leurs machines dans l’acte de certification, ne pouvant plus se prévaloir de la présomption de conformité donnée par le respect des normes harmonisées. La reconnaissance officielle des normes en tant que lois européennes ne serait donc pas nécessairement une évolution positive, en particulier pour les fabricants.
Ces développements judiciaires et d’autres obligent l’Union européenne à clarifier la valeur des normes harmonisées, sachant que toute modification du statu quo actuel entraînerait des changements majeurs pour tous les acteurs du monde de la sécurité des machines.